C’est une visite entre amis et un geste noble d’une des plus importantes collections de peintures du monde : en été 2015, le Kunstmuseum Basel a prêté dix oeuvres majeures de Pablo Picasso au Museo Nacional del Prado de Madrid. Celles-ci ont attiré près de 1.4 million de visiteurs. En 2017, c’est au tour du Prado de confier au musée bâlois 26 chefs-d’oeuvres de la fin du 15e jusqu’à la fin du 18e siècle.
Ce généreux prêt est cependant loin de rendre compte de la richesse de la collection madrilène, et la sélection effectuée conjointement par le Kunstmuseum et le Prado n’a pas la prétention de présenter un aperçu de ces fonds. Les invités d’honneur du Prado sont exposés en 24 duos (et quelques trios) avec des peintures du Kunstmuseum : ainsi les oeuvres de Titien, Zurbarán, Velázquez, Murillo et Goya dialoguent avec celles de Memling, Baldung, Holbein le Jeune, Goltzius et Rembrandt. Des cycles d’oeuvres graphiques de Goya et Holbein le Jeune issus du Cabinet des Estampe s complètent la rencontre entre les deux collections. Cette exposition se propose de montrer les liens qui unissent ces peintures et ces collections au-delà des courants artistiques, des époques et des espaces géographiques. Ainsi, le plaisir artistique va de pair avec un voyage de découverte aux multiples facettes.
Ci-après, un exemple pour un rapprochement d’oeuvres : Peu avant la Réforme, Hans Holbein le Jeune révolutionne l’art sacré avec son Christ mort au tombeau, une nature morte semblable à un distillat du récit biblique qui redéfinissait les catégories et les frontières de la peinture religieuse. Près d’un siècle plus tard, Francisco de Zurbarán peignait, suite à la Contre-Réforme, un tableau encore plus radical dans la pure tradition du bodegón, la forme espagnole de la nature morte qui privilégie la représentation sobre et détaillée de repas. Il reproduit un agneau aux pattes attachées. Il s’agit bien entendu de l’Agnus Dei de l’évangile selon Jean, l’un des symboles les plus anciens du Christ. Ces deux oeuvres invitent à réfléchir à la représentation du fils de Dieu. Chez Zurbarán, cette réflexion deviendra un sujet à part entière, puisque le peintre apparaîtra sous les traits de Saint Luc dialoguant silencieusement avec le Christ en croix. Naturellement, l’exposition présentera aussi un bodegón profane du Prado mis en regard avec le somptueux repas de Georg Flegel du Kunstmuseum. Et Hans Holbein le Jeune peut aussi se mesurer avec les peintres d’histoire et les portraitistes italiens : avec Titien dont le tableau Ecce Homo dialoguera avec La flagellation de Holbein, ou avec Giovanni Battista Moroni dont le Portrait d’un soldat sera opposé au Bonifacius Amerbach de Holbein le Jeune. Cette manifestation couvre aussi d’autres genres telle la peinture d’histoire religieuse et mythologique, l’allégorie ou le paysage.
Les 54 oeuvres s’expliquent mutuellement : l’observation des liens et des différences fournit la base pour des conclusions complémentaires. La mise en regard permet la mise en évidence des points de départ qui se révèlent parfois au premier coup d’oeil, parfois seulement après une observation plus détaillée. C’est ainsi que s’écrit l’histoire de l’art – ou, tout au moins, c’est ainsi qu’elle devrait s’écrire.